Carnet de bord # 2 Yotaro au pays des Yôkais

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra 

 

La quête de Yotaro au pays des Yôkaisnous demanda de mettre au point une méthode qui nous libère d’un schéma narratif unique. Nous voulions conserver certains des ressorts narratifs simples que l’on trouve dans les Shonen tout en les confrontant aux signes, symboles ou ellipses caractéristiques qu’offrent les conventions théâtrales. 

La connaissance de certaines histoires, malheureusement peu connues en Europe, comme Ôgon BatFuku Chanou encore Le Crabe coiffeur, nous fit percevoir toute la richesse qu’offraient les principes du Kamishibai pour associer plusieurs styles narratifs.  Nous avions, dans cette technique japonaise de l’art du conte qui utilise des planches cartonnées, les réponses aux besoins de représentations de plusieurs de nos questions. Tout d’abord, la dissociation entre la voix de la narratrice et du narrateur avec le geste des acteurs et actrices nous permettait de construire une version en français et en japonais sans utiliser de sous-titrage. Cela serait bien utile car nous avions le désir que ce spectacle s’adresse à tous les publics et puisse tourner au Japon tout autant qu’en France et en Suisse. Au besoin, nous pourrions même proposer des versions en allemand, en italien ou dans toute autre langue si la possibilité nous était offerte de faire vivre cette histoire partout où l’on voudrait bien l’accueillir. 

De même, en imaginant que « le butai », ce petit théâtre de bois ou de carton fermé par trois volets, soit symbolisé au sol par un carré de huit petits praticables de bois, nous avions alors la capacité de signifier sans efforts que les acteurs et actrices qui arriveraient sur cette « page de bois » soient les planches animées de notre histoire. Ainsi chaque arrivée présenterait un épisode du récit qui serait une station de plus dans la quête essoufflée de Yotaro.

Mais surtout, nous avions le loisir de nous amuser avec toutes les techniques particulières du Kamishibai en les croisant avec celles de la pantomime, du burlesque, de la Comédie ou de la Tragédie pour apporter du suspens, des effets de répétitions comiques, des surprises et surtout une lecture dont les variations de ponctuations scéniques enrichiraient la linéarité de notre fable.

Enfin, les conteurs traditionnels de Kamishibai s’accompagnant d’instruments de musique, c’était un moyen très efficace de combiner notre narration à la composition musicale de Jean-Luc Therminarias et Hiroko Tanakawa. 

Cela décidé, pour ne pas cloisonner notre imaginaire à un seul genre, nous devions construire un univers dont les sources d’inspirations soient enrichies par notre culture classique autant que notre culture populaire et surtout qu’elles soient nourries par la conversation et la découverte des particuralismes culturels de chacun. Akihito Hirano proposa ainsi le prénom de Yotaro pour le héros de notre fable. Ce n’était pas, comme nous aurions pu le croire, un hommage à cet étrange bébé robot japonais que des ingénieurs ont conçu avec l’espoir qu’à son contact de jeunes parents retrouvent l’envie de faire des enfants. C’était surtout une référence commune au Japon pour incarner la figure du naïf, de l’étourdi un peu idiot mais ayant bon cœur que l’on retrouve dans de nombreux contes populaires. Un héros décalé, un Jean-Le-Sot qui peut rêver d’être un corbeau pour que de là-haut, en volant dans les cieux, il puisse voir son âme et la rattraper. Nous adoptâmes ce prénom sans attendre et Gramblanc lui offrit son pyjama comme trousseau de naissance. Très vite, un autre personnage s’imposa, non pas comme un rival de Yotaro mais comme un guide, un virgile désabusé, farceur, autant dandy que clochard céleste. Un messager de la mort dont la tâche est de conduire les morts jusqu’au palais du Roi Enma pour que leur âme y soit pesée afin de vérifier s’ils sont dignes d’entrer dans le royaume des morts ou au contraire condamnés éternellement à errer affamés à la lisière des mondes. Les principes libérant nos imaginaires étant posés nous vîmes apparaître une foule grandissante de personnages, un chien des enfers né du croisement entre Rantanplan et un Jizô bosatu,  des esprits de papiers, des Yakusas Kappas amateurs de Kamizumo, un Yôkai GO-DO obssédé par sa montre, un Yôkai ayant échangé son visage avec le masque d’un Tschäggättä, un Pschuurimittwucha qui, en déambulant au fond de l’océan, s’était lié d’amitié avec une seiche, une femme-renarde amoureuse des égarés naïfs, une cigale qui ne sait plus que faire de son exuvie… Une richesse de personnages fantasques toujours plus surprenants et toujours plus nombreux qui ne pouvaient pas tous trouver leur place dans cette création mais que nous retrouverons sûrement dans une prochaine aventure de Yotaro.

 

Spectacle

Yotaro vient de mourir. Il était gentil Yotaro, toujours prêt à rendre service. Certains lui trouvaient même un petit...